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Fédération française des sciences de la cognition

Historique

  • 16 avril 1943 : Albert Hofmann, un chimiste suisse, absorbe involontairement du LSD du bout des doigts. Il expérimente alors une phase intense d’imagination et de vision qu’il qualifiera de “kaléidoscopique”.
  • 19 avril 1943 : Curieux de sa découverte, Albert Hofmann décide d’ingérer 250 microgrammes de LSD (plusieurs fois la dose usuelle). Sous l’effet de la drogue, il doit se faire ramener chez lui à vélo par son assistant. Depuis cet événement, de nombreuses personnes célèbrent le « bicycle day » chaque année.

  • 1953-1973 : La CIA utilise le LSD, parfois à l’insu des cobayes, dans le cadre du très controversé projet MK-Ultra visant à développer des techniques de manipulation mentale.
  • 1954 : Plus de 90 articles scientifiques à propos du LSD sont publiés cette année-là. La plupart porte sur ses potentielles applications thérapeutiques.
  • 1963 : La première de la plus longue série d’expériences sur le LSD débute à la clinique de Spring Grove. Dr. Stanley Yolles, à la tête du National Institute of Mental Health, qualifie les résultats préliminaires de très prometteurs. Ces études impliquant plus de 700 patients indiqueront notamment que la substance est jusqu’à 3 fois plus efficace que les thérapies conventionnelles pour traiter l’addiction à l’alcool.
  • 1967 : Dans un contexte politique très défavorable à la recrudescence de l’usage récréatif des psychédéliques, les Nations Unies mettent fin à leur usage médical. Faute de financement, les études sur le sujet qui étaient en plein essor se font de plus en plus rares (Rucker et al., 2018).

Proportion des publications liées aux psychédéliques avant et après la décision des Nations Unies

  • 2 juin 1970 : Richard Nixon retire Stanley Yolles de la tête National Institute of Mental Health pour ses positions contre les régulations anti-drogues. Dans sa lettre de démission, il condamne Nixon de laisser tomber les personnes atteintes de troubles mentaux.
  • 20 janvier 2006 : La première étude clinique portant sur les psychédéliques à être acceptée aux Etats-Unis depuis 30 ans est publiée. Elle décrit les expériences mystiques voire spirituelles pouvant être induites par la prise de champignons hallucinogènes (Griffiths et al., 2006).
  • 2011 : Un panel d’experts classe les psychédéliques parmi les drogues les moins néfastes pour soi comme pour les autres (Taylor et al., 2012).

  • 2015 : Une étude portant sur 130000 participants ne trouve pas d’association négative entre la prise de psychédéliques et la santé, y compris mentale. Au contraire, leur usage fréquent semble être associé à une plus faible probabilité de traitement psychiatrique (Johansen & Krebs, 2015).

Association entre l’usage de psychédéliques et différentes composantes psychopathologiques

Mécanismes neuronaux

Lorsqu’une personne consomme du LSD, que ce soit par voie orale ou intraveineuse, la substance atteint le système nerveux en étant transportée dans les vaisseaux sanguins. Le LSD se fixe ensuite à des récepteurs, notamment un type de récepteurs à la sérotonine. C’est ce mécanisme qui provoque les effets du LSD et autres drogues sérotoninergiques comme la psilocyne, contenue dans les champignons hallucinogènes. Localisés dans l’ensemble du cerveau mais principalement dans les cortex préfrontal et visuel, ces récepteurs jouent de multiples rôles dans la cognition. 

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de l’intelligence artificielle développée par Google qui serait la première à rêver ? Cet algorithme appelé DeepDream permet de modifier une image en produisant des artefacts qui rappellent les hallucinations induites par l’usage de psychédéliques. Des chercheurs britanniques ont mis en place un dispositif qui permet de voir les images d’une caméra 360° dont les images sont transformées par DeepDream, à travers un casque de réalité virtuelle (Suzuki et al., 2017). Dans un questionnaire, les personnes ayant testé le dispositif rapportent que leur imagination était stimulée, leur perception de l’espace déformée, leur pensées embrouillées, leur esprit apaisé et leurs souvenirs remémorés. En ce qui concerne ces éléments, il n’y a pas de différence significative entre les réponses des participants au questionnaire et les réponses de personnes ayant répondu suite à la prise de psychédéliques.

Application de l’algorithme DeepDream à une image panoramique en gelant l’activation de différentes couches du réseau

Intéressons-nous à la manière dont fonctionne l’algorithme DeepDream pour potentiellement en tirer des leçons sur les effets hallucinogènes des psychédéliques. Il se base sur un réseau de Deep Learning, c’est-à-dire un ensemble de neurones simulés informatiquement, plus ou moins interconnectés. En modifiant les connexions avec un algorithme d’apprentissage, on peut par exemple obtenir un réseau qui permet de déterminer quel objet est représenté sur une image. L’image est présentée d’un côté du réseau, active les neurones organisés en couches successives, jusqu’à ce que l’information atteigne la dernière couche, le sommet de la hiérarchie qui donne la réponse : l’objet identifié. Au départ, les connexions sont aléatoires tout comme les réponses du réseau. Image après image, on corrige les connexions en calculant la différence entre l’objet identifié par le réseau et l’objet réel de l’image, puis en propageant ce signal d’erreur dans le sens inverse que précédemment, c’est-à-dire vers les premières couches. Une fois le réseau entraîné et capable de reconnaître les objets dans une image, on remarque que les neurones se spécialisent dans la reconnaissance de certains éléments. Plus un neurone est proche de la base, c’est-à-dire là où arrive l’image, plus il se spécialise dans la reconnaissances d’éléments simples comme des traits ou des courbes. A l’inverse, plus un neurone est situé proche des couches du sommet, plus il se spécialise dans la reconnaissance de concepts complexes comme des parties du visage, des roues de voiture, etc. Il est intéressant de noter que les neurones de notre système visuel sont organisés de la même manière.

Là où DeepDream se différencie de l’approche traditionnelle du Deep Learning, c’est qu’une fois ce processus d’apprentissage achevé, il met en œuvre un processus inverse. Plutôt que d’utiliser un signal d’erreur pour modifier les connexions, il va l’utiliser pour directement changer l’activité des neurones. Si par exemple on veut une image d’hallucination contenant des chats, on va activer le neurone correspondant à l’objet chat, puis activer les neurones de la couche du dessous qui ont tendance à activer ce neurone, puis activer les neurones de la couche encore en dessous qui ont tendance à activer ces neurones, successivement jusqu’à ce qu’à la première couche de neurones à partir de laquelle on peut extraire une image. L’image obtenue aura ainsi été optimisée pour activer la reconnaissance du concept “chat”, et sera donc remplie d’éléments rappelant l’animal.

Architecture d’un réseau de Deep Learning avec des couches qui représentent des formes de plus en plus complexes

Une idée influente en sciences cognitives est que notre cerveau fonctionne avant tout en faisant des prédictions. Ainsi, la perception peut être comprise comme la combinaison de deux signaux : un signal descendant qui informe les couches inférieures de ce que l’on s’attend à percevoir et un signal ascendant qui corrige ces prédictions au vu des informations sensorielles.  DeepDream est en fait l’exacerbation du signal descendant (prédictif), en cela que la prédiction choisie (par exemple “chat”) dicte complètement l’activation des niveaux inférieurs, jusqu’à changer les informations sensorielles (ici l’image).

Comme sur les images transformées par DeepDream, plus les flux descendants prennent le dessus sur les flux ascendants à un niveau élevé de la hiérarchie, plus la perception est soumise à des hallucinations complexes

Certains chercheurs émettent l’hypothèse que ce processus serait mis en œuvre dans le cerveau des personnes sous psychédéliques afin de compenser l’activation des récepteurs sérotoninergiques. En effet, ces récepteurs, une fois activés, augmentent l’activité de certains neurones qui émettent alors des hypothèses de plus en plus spécifiques : d’un simple “chat” à “Garfield”, “chat noir” ou encore “Félix” (Pink-Hashkes et al., 2017 ; Carhart-Harris & Friston, 2019). Alternativement, imaginez-vous remplacer votre vieille télévision par un écran Ultra HD qui a nettement plus de pixels, c’est-à-dire de possibilités. Cela explique pourquoi la perception paraît très nette sous l’influence de psychédéliques. Passés sous scanner, les cerveaux soumis aux psychédéliques présentent d’ailleurs des états de conscience plus complexes que sous condition normale (Tagliazucchi et al., 2014). En se précisant, les hypothèses ont en général moins de chance de correspondre à la réalité objective que lorsqu’elles sont générales (il est plus rare de croiser Garfield que de croiser un chat quelconque, dont Garfield). Un signal ascendant plus puissant est alors généré dans les couches inférieures pour corriger ces prédictions moins fiables car trop spécifiques. Pour compenser l’augmentation des signaux ascendants d’erreurs de prédiction, les couches n’étant pas affectées par l’activation des récepteurs vont augmenter la puissance de leur prédiction et générer des hallucinations, à la manière de DeepDream.

Une autre manière de réduire les erreurs consiste à modifier l’environnement perçu à travers le mouvement, c’est ce que l’on appelle l’inférence active. Ces deux stratégies semblent être complémentaires, si bien que bouger plutôt que de rester immobile permet de réduire les hallucinations et l’occurrence de mauvaises expériences, communément appelées “bad trip”.

Pour résumer, le LSD aurait tendance, dans certaines parties du cerveau, à diminuer la fiabilité des signaux prédictifs descendants et entraînerait une augmentation des signaux ascendants d’erreurs de prédiction. Ces signaux d’erreurs étant ce qui forge nos modèles internes générant les prédictions, on peut penser que le LSD, en les augmentant, favorise l’apprentissage par la plasticité cérébrale. Bien que ce sujet soit encore trop peu étudié, cette hypothèse est attirante pour deux raisons. La première, c’est l’observation que l’environnement a un impact important sur le bon déroulement d’une expérience psychédélique. Toutes les personnes ayant une bonne connaissance du sujet insistent sur l’importance de se sentir bien, d’être accompagné et d’être dans un environnement apaisant avant de tester ce genre d’expérience. Les substances psychédéliques placent les consommateurs dans un état de suggestibilité accrue et peuvent être à l’origine d’une expérience très difficile à supporter psychologiquement, ce qu’on appelle un bad trip (Barrett et al., 2016). La deuxième raison, c’est l’efficacité constatée du LSD dans le traitement des addictions, de l’anxiété et de la dépression. En apparence opposées, les deux raisons se font en fait écho. La suggestibilité est en effet causée par l’augmentation des signaux d’erreur, et donc de la plasticité. Si la recrudescence de l’usage récréatif des psychédéliques dans les années 70 n’a pas entraîné une baisse significative de la consommation du tabac ou de l’alcool, c’est probablement parce que ces substances étaient  omniprésentes dans l’environnement et que stopper leur consommation n’était pas forcément l’objectif des personnes sous psychédéliques. En revanche, le consommateur peut échapper à une addiction ou à des motifs de rumination en remodelant ses circuits neuronaux si sa volonté et l’environnement convergent dans ce sens. 

Disclaimer : la Fresco n’encourage pas l’usage de drogues.

Références

  1. Barrett, F. S., Bradstreet, M. P., Leoutsakos, J.-M. S., Johnson, M. W., & Griffiths, R. R. (2016). The Challenging Experience Questionnaire: Characterization of challenging experiences with psilocybin mushrooms. Journal of psychopharmacology (Oxford, England), 30(12), 1279‑1295. https://doi.org/10.1177/0269881116678781
  2. Carhart-Harris, R. L., & Friston, K. J. (2019). REBUS and the Anarchic Brain: Toward a Unified Model of the Brain Action of Psychedelics. Pharmacological Reviews, 71(3), 316‑344. https://doi.org/10.1124/pr.118.017160
  3. Griffiths, R. R., Richards, W. A., McCann, U., & Jesse, R. (2006). Psilocybin can occasion mystical-type experiences having substantial and sustained personal meaning and spiritual significance. Psychopharmacology, 187(3), 268‑283; discussion 284-292. https://doi.org/10.1007/s00213-006-0457-5
  4. Johansen, P.-Ø., & Krebs, T. S. (2015). Psychedelics not linked to mental health problems or suicidal behavior: a population study. Journal of Psychopharmacology (Oxford, England), 29(3), 270‑279. https://doi.org/10.1177/0269881114568039
  5. Pink-Hashkes, S., Rooij, I.J.E.I. van, Kwisthout, J.H.P., Gunzelmann, G., Howes, A., Tenbrink, T., & Davelaar, E. (2017). Perception is in the details: A predictive coding account of the psychedelic phenomenon. Gunzelmann, G.; Howes, A.; Tenbrink, T. (ed.), Proceedings of the 39th Annual Meeting of the Cognitive Science Society (CogSci 2017), 2907‑2912.
  6. Rucker, J. J. H., Iliff, J., & Nutt, D. J. (2018). Psychiatry & the psychedelic drugs. Past, present & future. Neuropharmacology, 142, 200‑218. https://doi.org/10.1016/j.neuropharm.2017.12.040
  7. Suzuki, K., Roseboom, W., Schwartzman, D. J., & Seth, A. K. (2017). A Deep-Dream Virtual Reality Platform for Studying Altered Perceptual Phenomenology. Scientific Reports, 7(1), 15982. https://doi.org/10.1038/s41598-017-16316-2
  8. Tagliazucchi, E., Carhart‐Harris, R., Leech, R., Nutt, D., & Chialvo, D. R. (2014). Enhanced repertoire of brain dynamical states during the psychedelic experience. Human Brain Mapping, 35(11), 5442‑5456. https://doi.org/10.1002/hbm.22562
  9. Taylor, M., Mackay, K., Murphy, J., McIntosh, A., McIntosh, C., Anderson, S., & Welch, K. (2012). Quantifying the RR of harm to self and others from substance misuse: results from a survey of clinical experts across Scotland. BMJ Open, 2(4), e000774. https://doi.org/10.1136/bmjopen-2011-000774