La famille : système fondateur complexe
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Victor Auger
- 18/05/2021
- Temps de lecture : 4 minutes
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La fête des Mères, la Journée Internationale des Familles, le mois de Mai semble définitivement centré sur cette notion de filiation. Le contexte familial, par la place centrale qu’il occupe dans le développement de l’individu, a été au cœur de nombreuses recherches.
L’un des sujets favoris dans ce domaine est celui de l’attachement. A l’origine de ce concept, John Bowlby, psychiatre britannique modélise la première théorie de l’attachement chez l’humain. Le nouveau né s’oriente instinctivement vers sa figure d’attachement. Développer une relation d’attachement est un besoin primaire de l’enfant afin de lui garantir un développement cognitif et affectif normal (Tereno et al., 2007).
Théorie de l’attachement
Contrairement à d’autres espèces animales, l’être humain arrive au monde dans un état particulièrement fragile où il a besoin d’un accompagnement dans son développement. Qu’il s’agisse dans un premier temps de fournir de la nourriture, des soins parentaux, de permettre un attachement affectif ou un partenaire de jeu, la figure d’attachement (caregiver) va “gagner” des points auprès du nouveau né en répondant à ses besoins. La relation entre le nouveau né et la figure d’attachement se développe au fur à mesure du développement au fil d’interactions bi-directionnelles. Au fil du temps, des modèles mentaux internes vont prendre forme dans le système cognitif de l’enfant. C’est pourquoi on insiste souvent sur l’importance de ces premières relations pour la formation des modèles mentaux qui seront ensuite importants dans les futures relations de la personne.
Enfin, l’attachement permet la constitution d’une base de sécurité à partir de laquelle le nouveau né peut partir explorer son environnement à la découverte de la complexité du monde (Dugravier & Barbey-Mintz, 2015). En cas de danger, le nouvel explorateur sait qu’il peut revenir vers sa figure protectrice et se sentir en quelques secondes rassuré et protégé. Ainsi, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le lien du nouveau né à sa figure d’attachement, va servir l’autonomie et l’indépendance.
Un système multi-agents
Si la vision que l’on a pu développer jusque là semble mettre en évidence un lien particulier entre un nouveau né et une figure d’attachement primaire, il ne faut pas négliger la présence de liens secondaires qui se développent à travers des rencontres et interactions (Pinel-Jacquemin & Zaouche-Gaudron, 2009). Les grands parents, les frères et sœurs et même les amis de la famille vont venir influencer la manière dont le système d’attachement du nouveau né se construit.
Les études montrent aujourd’hui que les relations d’attachement que développent l’enfant sont influencées à différents niveaux du fonctionnement familial. Que ce soit la relation des parents avec l’enfant, des parents entre eux ou des relations fraternelles, chaque sous-système vient influencer la qualité de l’attachement à travers une influence directe et indirecte (Kozlowska & Hanney, 2002). La question est donc clairement plus compliquée que de savoir “Comment était votre relation avec votre mère” si vous cherchez à comprendre la manière dont quelqu’un agit dans une relation.
Un acteur longtemps oublié
Si la mère a été la figure d’attachement longuement étudiée car souvent au premier plan dans la parentalité (Geary, 2000), les changements sociétaux ont ouvert le chemin à de nouvelles recherches portant sur le rôle du père. Même si l’espèce humaine est l’une des rares espèces mammifères où les soins paternels existent, ces derniers sont très variables selon les cultures et les groupes sociaux. Une étude particulièrement novatrice s’est intéressée aux réseaux neuronaux qui sous-tendent les expériences parentales auprès de l’enfant (Abraham et al., 2014). Trois groupes ainsi ont ainsi pu être constitué : un groupe de mères qui étaient la figure d’attachement primaire (primary caregiving mother – PCM), un groupe de pères figure d’attachement secondaire (secondary caregiving) et un groupe de pères figure d’attachement primaire (primary caregiving father – PCF) issus de couples homosexuels. Les résultats indiquent une plus grande synchronie parent-enfant chez les figures d’attachement principales (PCM et PCF) que chez les figures secondaires sans que l’on puisse observer de différence dans le niveau d’ocytocine des différents parents.
Au niveau des réseaux cérébraux, deux grands réseaux ont pu être mis en évidence. Le premier, caractéristique d’un réseau hautement émotionnel, implique l’amygdale, l’insula et le gyrus cingulaire ventral. Le second, un réseau de mentalisation, comprend les pôles temporaux, le cortex préfrontal ventromédian et le sillon temporal supérieur. Le premier réseau est davantage activé par les figures d’attachement primaire masculine ou féminine. Le second réseau est quant à lui plus mobilisé chez les pères qui n’ont pas le rôle de figure primaire mais aussi chez les pères figures d’attachement principales. Ce réseau serait principalement impliqué dans le jeu et la capacité à inférer les états mentaux d’autrui. Les auteurs concluent sur l’importance des expériences de soins quotidiens dans la plasticité cérébrale et la relation parent-enfant au-delà d’un unique effet de la grossesse ou de l’accouchement.
En somme, le système familial et les interactions en son sein sont d’une complexité remarquable. Si le développement cérébral, cognitif et affectif de l’enfant est fortement influencé par son environnement familial, il ne faut pas réduire celui-ci à travers des déterminismes simplistes. Une relation conflictuelle avec une mère ou l’absence d’un père pendant l’enfance ne peut expliquer entièrement un comportement précis à l’âge adulte, contrairement à ce que certains thérapeutes voudraient croire.
Références
- Abraham, E., Hendler, T., Shapira-Lichter, I., Kanat-Maymon, Y., Zagoory-Sharon, O., & Feldman, R. (2014). Father’s brain is sensitive to childcare experiences. Proceedings of the National Academy of Sciences, 111(27), 9792-9797.
- Dugravier, R. & Barbey-Mintz, A. (2015). Origines et concepts de la théorie de l’attachement. Enfances & Psy, 2(2), 14-22.
- Geary, D. C. (2000). Evolution and proximate expression of human paternal investment. Psychological bulletin, 126(1), 55.
- Kozlowska, K., & Hanney, L. (2002). The network perspective: An integration of attachment and family systems theories. Family Process, 41(3), 285-312.
- Pinel-Jacquemin, S., & Zaouche-Gaudron, C. (2009). Système familial et attachement : revue de la question. Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 57(3), 167–172.
- Tereno, S., Soares, I., Martins, E., Sampaio, D. & Carlson, E. (2007). La théorie de l’attachement : son importance dans un contexte pédiatrique. Devenir, vol. 19(2), 151-188.