Covid-19 : Lorsqu’introversion ne rime pas avec distanciation
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Amandine Guillin
- 03/12/2020
- Temps de lecture : 4 minutes
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La crise sanitaire de la Covid-19 a entraîné des mesures de distanciation sociale et de confinement à travers le monde entier, affectant les vies de chacun d’entre nous. Pourtant, le bouleversement que cela représente n’est pas vécu de la même façon par tous (Williams, Armitage, Tampe & Dienes, 2020). En effet, l’impact psychologique de la crise dépendrait entre autres de la personnalité, et s’il est communément admis que cette période est celle des introvertis, une étude de Wei (2020) a démontré que ces derniers subissent en fait la solitude, l’anxiété et la dépression plus sévèrement que les extravertis. Ces travaux examinent également des facteurs tels que l’âge, le genre, les conditions de vie ou la situation professionnelle et mettent en évidence des résultats parfois inattendus. Ainsi, certains symptômes liés aux mesures prises en réponse à la Covid-19, tels que l’anxiété et les déficits cognitifs, sont plus importants chez les personnes vivant en communauté que chez les personnes vivant seules. Cependant ce n’est pas le cas pour la solitude ou la dépression. En période de pandémie, le fait de vivre avec ses proches pourrait donc avoir des effets protecteurs sur certains aspects de la santé mentale, et des effets néfastes sur d’autres.
Une incompréhension globale de l’introversion
L’introversion est souvent définie comme un mode de fonctionnement selon lequel l’énergie des individus est puisée dans leurs ressources internes, par opposition à l’extraversion, où cette énergie serait davantage alimentée par des ressources externes. Pour ces raisons, l’année 2020 a vu fleurir de nombreux posts, articles et memes plaçant les extravertis en véritables victimes de la distanciation sociale (Personality Growth, 2020), et attribuant aux introvertis des capacités naturelles de résilience lors du confinement (Bloomberg, 2020; Reuters, 2020; The Conversation, 2020).

De nombreuses plateformes de développement personnel semblent ainsi avoir négligé les facteurs de risque liés à l’introversion dans le domaine de la santé mentale. En effet, l’introversion est associée à une tendance à ressentir les émotions de façon plus intense et à éprouver plus de difficultés à les réguler. De plus, ce trait de personnalité est généralement lié à un risque accru de troubles psychologiques et à des problèmes d’adaptabilité (Janowsky, 2001). Par exemple, les introvertis s’adaptent moins bien que les extravertis aux changements affectant le quotidien, qu’il s’agisse d’un changement d’établissement scolaire (Davidson, Gillies & Pelletier, 2015), d’une mutation professionnelle (Pinder, 1977) ou d’un passage à la retraite (Robinson, Demetre & Corney, 2010).

Bien que le temps passé seul puisse en théorie être bénéfique aux introvertis, l’équipe de Wei (2020) s’est intéressée aux effets psychosociaux, cognitifs et affectifs réels des changements induits par la gestion de la Covid-19 sur ces individus. Dans cette perspective, des participants résidant aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Australie et en Allemagne ont répondu à une série de questionnaires. D’une part, la dimension introvertie ou extravertie de leur caractère était recueillie. D’autre part, leur sentiment de solitude pendant la crise, leur tendance à faire des erreurs et oublis au quotidien (par exemple : oublier ce que l’on est venu acheter au magasin) ainsi que leurs scores d’anxiété et de dépression en lien avec la Covid-19 étaient collectés.

L’étude conclut que l’introversion est associée à des scores de solitude, d’anxiété et de dépression relatifs à la Covid-19 supérieurs à ceux des extravertis. Ces difficultés ne semblent toutefois pas s’étendre aux fonctions cognitives. Les résultats de ces travaux entrent en contradiction avec la notion selon laquelle l’introversion serait associée à une préférence pour les environnements peu stimulants (McCrae, Costa, John, Robins & Pervin, 1999). Certaines pistes permettent d’expliquer ce phénomène, telles que le fait que les introvertis soient moins susceptibles de demander de l’aide (Kakhnovets, 2011) et tendent à se refermer sur eux-mêmes lorsqu’ils éprouvent des émotions négatives (Shapiro & Alexander, 1975). Si l’introspection peut faciliter la régulation émotionnelle, un repli sur soi excessif pourrait donc aboutir à des mécanismes cognitifs d’internalisation (Bowker & Rubin, 2009), de rumination (Cohen & Ferrari, 2010) et d’angoisse (Philippi & Koenigs, 2014) respectivement sous-jacents à la solitude, à la dépression et à l’anxiété (Beck, 2008; Newman, Llera, Erickson, Przeworski & Castonguay, 2013; Ypsilanti, 2018).
Vivre ensemble : une fausse bonne idée ?
Le confinement nous a imposé à tous un certain nombre de contraintes, parmi lesquelles rester seul en permanence pour certains, ou partager son toit avec des proches pour d’autres. Le fait de passer son temps seul ou entouré a des conséquences directes sur différents facteurs, tels que la perception de soi. Il a par exemple été démontré que les individus qui se projettent dans un contexte social (avec des proches par exemple) tendent à concentrer leur attention sur le présent tandis que la représentation de soi dans un contexte de solitude est associée à une considération plus importante du passé et du futur. De plus, d’un point de vue émotionnel, nous tendons à exprimer plus d’anxiété et de colère lorsque nous sommes en groupe que lorsque nous sommes seuls, mais aussi moins de tristesse (Uziel, 2020). Pour beaucoup, le temps passé seul peut être perçu comme une opportunité de faire le point sur sa vie, de se distancier du stress des interactions sociales, de méditer ou de se consacrer librement à des activités de loisir. Le fait de ne pas être entouré pendant le confinement pourrait donc être constructif et contribuer au développement personnel. Cependant la solitude à long terme est également associée à un certain nombre de troubles, soulevant des questions quant au bien-être des personnes isolées pendant la crise.
Dans l’étude de Wei (2020), le fait de vivre seul ou entouré de ses proches est le second facteur ayant prédit des effets sur la santé mentale des individus pendant l’épidémie de Covid-19. Plus spécifiquement, le fait de vivre à plusieurs est lié à une anxiété accrue et à une altération plus importante des performances cognitives. Bien que cela semble préserver de la solitude et des symptômes dépressifs, le fait d’être confiné avec des proches pourrait donc impacter d’autres aspects de la santé mentale, en rapport avec la tranquillité d’esprit. Il est toutefois nécessaire d’analyser les dynamiques des foyers de façon plus précise pour déterminer les facteurs entrant en jeu dans ces mécanismes.
En somme, et bien que cela soit rendu difficile par les mesures sanitaires, il semble que le meilleur moyen de prendre soin de soi en cette période troublée consiste à alterner les moments à plusieurs et les moments pour soi, chacun étant nécessaire au maintien d’une santé mentale équilibrée (Uziel, 2020).

Références
- Bloomberg (2020). For Introverts, Quarantine Can Be a Liberation. Available online at: https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2020-03-28/coronavirus-for-introverts-quarantine-can-be-a-liberation (accessed November 30, 2020).
- Bowker, J. C., & Rubin, K. H. (2009). Self‐consciousness, friendship quality, and adolescent internalizing problems. British Journal of Developmental Psychology, 27(2), 249-267.
- Beck, A. T. (2008). The evolution of the cognitive model of depression and its neurobiological correlates. American Journal of Psychiatry, 165(8), 969-977.
- Cohen, J. R., & Ferrari, J. R. (2010). Take some time to think this over: The relation between rumination, indecision, and creativity. Creativity Research Journal, 22(1), 68-73.
- Davidson, B., Gillies, R. A., & Pelletier, A. L. (2015). Introversion and medical student education: Challenges for both students and educators. Teaching and learning in medicine, 27(1), 99-104.
- Janowsky, D. S. (2001). Introversion and extroversion: implications for depression and suicidality. Current psychiatry reports, 3(6), 444-450.
- Kakhnovets, R. (2011). Relationships among personality, expectations about counseling, and help‐seeking attitudes. Journal of Counseling & Development, 89(1), 11-19.
- McCrae, R. R., Costa, P. T., John, O. P., Robins, R. W., & Pervin, L. A. (1999). Handbook of personality: Theory and research. New York, NY: Guilford.
- Newman, M. G., Llera, S. J., Erickson, T. M., Przeworski, A., & Castonguay, L. G. (2013). Worry and generalized anxiety disorder: a review and theoretical synthesis of evidence on nature, etiology, mechanisms, and treatment. Annual review of clinical psychology, 9, 275-297.
- Personality Growth (2020). The Extroverts Guide to Quarantine: How to Survive Social Distancing as an Extrovert. Available online at: https://personalitygrowth.com/the-extroverts-guide-to-quarantine-howto-survive-social-distancing-as-an-extrovert (accessed November 30, 2020).
- Philippi, C. L., & Koenigs, M. (2014). The neuropsychology of self-reflection in psychiatric illness. Journal of psychiatric research, 54, 55-63.
- Pinder, C. C. (1977). Multiple predictors of post‐transfer satisfaction: The role of urban factors. Personnel Psychology, 30(4), 543-556.
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- Robinson, O. C., Demetre, J. D., & Corney, R. (2010). Personality and retirement: Exploring the links between the Big Five personality traits, reasons for retirement and the experience of being retired. Personality and Individual Differences, 48(7), 792-797.
- Shapiro, K. J., & Alexander, I. E. (1975). The experience of introversion (p. 30). Durham, NC: Duke University Press.
- The Conversation (2020). Personalities that thrive in isolation and what we can all learn from time alone. Available online at: https://theconversation.com/ personalities-that-thrive-in-isolation-and-what-we-can-all-learn-from-timealone-135307 (accessed November 30, 2020).
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- Ypsilanti, A. (2018). Lonely but avoidant—the unfortunate juxtaposition of loneliness and self-disgust. Palgrave Communications, 4(1), 1-4.